Frantz

De : François Ozon
Année : 2016
Avec : Paula Beere, Pierre Niney, Johann von Bülow, Cyrielle Clair

LE FILM

Dans un village allemand au lendemain de la guerre 14-18, Anna une veuve de guerre vient se recueillir chaque jour sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Un jour elle y rencontre Adrien, un jeune français. Lui aussi était soldat pendant la guerre, il vient se recueillir sur la tombe de son ami. Toute deux apprennent à se connaitre et échangent sur le passé. Mais cette amitié naissante n’est pas au goût de tout le monde dans le village.

Frantz est avant tout un très beau film sur l’amitié franco-allemande. Dans cette production binationale,  l’allemand et le français s’alternent tout au long de l’histoire. Un français qui parle allemand, une allemande qui parle français dans un contexte historique bien particulier. Nous sommes ici en 1919 au lendemain de la première guerre mondiale. Habituellement, quand il est question de la guerre, j’ai plutôt le sentiment qu’il est question de la seconde. C’est donc un des points qui m’a interpellé avec ce film.

Dans un jeu de couleurs et de noir et blanc, François Ozon donne à voir toute la dureté de l’époque et met en exergue les animosités venues alimentées l’hostilité entre les deux pays. Il en résulte toute l’absurdité de la situation puisque les allemands reprochent au français d’avoir tué leurs fils, et les français reprochent aux allemands d’avoir tué les leurs. Une souffrance mutuelle que les deux nations se sont infligées. Un dialogue de sourd qui n’a fait que croitre et s’étoffer avec le temps. Pourtant la communication n’est pas impossible comme le prouve les deux protagonistes principaux qui affrontent le mensonge, le deuil et la culpabilité avec beaucoup de douceur et de fragilité. Le tout se tisse dans un rythme relativement lent et parfois pesant mais reflétant dans le fond les blessures profondes de ce traumatisme encore vivace.

Par ailleurs,  Frantz m’évoque un autre film dans cette veine historique franco-allemande, dont je souhaite faire part. Il s’agit du film français « Séraphine » de Martin Provost. On y retrouve un « couple » franco-allemand et ce contexte de première guerre mondiale (mais aussi les prémices de la seconde). Il raconte l’histoire de cette femme, Séraphine de Senlis, domestique le jour et peintre la nuit. Son talent artistique et ses œuvres sont découvertes par le collectionneur allemand Wilhelm Uhde qui lui permettra de donner de la visibilité à son travail. C’est également une œuvre que je recommande vivement !

POUR ALLER PLUS LOIN

  • Le film est adapté de la pièce de Maurice Rostand « L’homme que j’ai tué » paru en 1930. Avant François Ozon, Ernst Lubitsch avait déjà porté cette pièce à l’écran avec son film « Broken Lullaby » sorti en 1932
  • Les deux acteurs, Paula Beer et Pierre Niney ont dû travailler dans une langue qu’ils ne maîtrisaient pas. Paula Beer explique d’ailleurs dans plusieurs interviews la difficulté de traduire des émotions dans une langue qui n’est pas la sienne. Ainsi que l’épuisement ressenti après une journée de tournage dans une langue étrangère
  • Normalement le prénom Frantz ne prend pas de « t ». Elle s’avère être une faute courante chez les français que le réalisateur a choisi de conserver
  • Le tournage a en partie eu lieu dans de petites villes de l’Allemagne de l’Est d’autrefois où l’architecture des l’époque n’a connu ni destruction ni reconstruction.

Werk ohne Autor

Titre français: L’Oeuvre sans auteur
Réalisateur: Florian Henckel von Donnersmarck
Année: 2019
Avec: Tom Schilling, Sebastian Koch, Paula Beer, Saskia Rosendahl, Lars Eidinger, Hanno Koffler

LE FILM

Kurt est peintre, il découvre sa vocation après la visite d’une exposition sur « l’art dégénéré » à Dresde en 1937 au côté de sa tante qui sera internée et assassinée par les nazis du fait de ses troubles psychiatriques. Plus tard, en RDA, il intègre les Beaux-arts où il doit, non sans peine, s’adapter aux exigences du « réalisme socialiste ». Puis, il passe en RFA, aux côtés d’Ellie une étudiante en mode dont il tombe amoureux. Là-bas, il peut enfin pleinement exercer son art. Toutefois, une ombre vient noircir le tableau. Bien que Kurt l’ignore, le père d’Ellie, médecin reconnu, est étroitement lié au passé terrible de sa famille.

Je suis tombée par hasard sur ce film. Attirée par la thématique artistique, je comprends vite qu’il ne s’agit pas là de l’unique sujet puisqu’il nous plonge dans l’horreur du nazisme puis la rigidité de la RDA. Toutefois, le conflit mondial, qui n’en est pas moins intense et poignant, est très vite évacué pour laisser place à l’après-guerre et comment le passé vient travailler la matière artistique. Dès les premières minutes, ont nous rappelle la vision du régime nazi sur quelques artistes comme Picasso ou Chagall, puis le ton s’adoucie. On passe de tableaux peint avec une grande attention à des œuvres cocasses, maltraitées ou grasses… J’ai beaucoup apprécié le traitement réservé à l’art contemporain, tirant parfois vers la dérision, comme dans la scène de la visite de l’exposition de Düsseldorf. Il nous rappelle qu’il est important de garder un œil critique et détaché.

Malgré le ton parfois un peu trop mélodramatique à mon goût,  le film reste très touchant et sait séduire par sa douceur et sa mise en scène soignée. Son approche singulière et substantielle de l’art, sans manquer d’humour, donne une toute autre dimension à toute la complexité de cette Allemagne blessée et divisée. Par ailleurs, il nous permet de réviser quelques faits historiques puisque le film s’étale sur plusieurs années (de la fin des années 1930 aux années 1960). Enfin, il est aussi amusant d’observer les acteurs allemands interpréter à tout de rôle l’oppresseur et l’oppresser. Ainsi, l’acteur Sebastian Koch qui interprétait le dramaturge surveillé par la Stasi dans « La Vie des Autres » devient ici un médecin partisan de l’idéologie nazie.

Réalisme socialiste : le réalisme socialiste est une doctrine littéraire et artistique du XXᵉ siècle inspirée du réalisme et dans laquelle l’œuvre doit refléter et promouvoir les principes du communisme de type soviétique


POUR ALLER PLUS LOIN

  • Il s’agit du troisième long métrage pour Florian Henckel von Donnersmarck, et marque son retour en Allemagne après « The Tourist » avec Angelina Jolie et Johnny Depp.  
  • Le personnage de Kurt Barnert s’inspire d’un véritable peintre : Gerhard Richter, né en 1932 à Dresde et vivant désormais à Cologne.
  • Ce n’est pas sans raison que le réalisateur se lance dans l’écriture du film en 2014. En effet, il a été fortement imprégné par l’art. Alors qu’il n’a que dix ans, il est marqué par l’exposition d’œuvres avant-gardistes « Zeitgeist » au Martin Gropius Bau de Berlin. Plus tard, la découverte du peintre Gehrard Richter renforcera cette impression.
Gerhard Richter, “Fuji”, Oil on aluminium, 37.4 x 29.2cm, 1996
Gerhard Richter, “Rosen”, Offset lithograph on paper, 63 x 63cm, 1994

  • L’exposition que l’on découvre au début du film réunie les œuvres de peintres comme Picasso ou Kirchner considérés comme malade par le régime nazi. L’art moderne sera interdit au profit d’un art officiel. Inaugurée à Munich en 1937, l’exposition voyage à travers l’Allemagne et l’Autriche et réunira plusieurs millions de visiteurs. Par ailleurs, sa reconstitution nécessitera de nombreuses recherches et certaines œuvres, depuis détruites, comme Les Invalides de guerre d’Otto Dix, ont dû être reproduites d’après des photos et en collaboration avec les archives des artistes en question.
  • De nombreux peintres ont servis de sources d’inspiration pour l’élaboration du film comme par exemple Richter, Beuys, Polke, Uecker, Mack, Warhol, Yves Klein, Lucio Fontana ainsi que les grands artistes de Düsseldorf de l’époque. Le réalisateur s’est aussi inspiré des études de Thomas Demand à Düsseldorf, ainsi que de ses propres études à l’école de cinéma de Munich. Il a également eu la visite de d’artistes venant soumettre leurs idées.